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Tomber au pied de Lamontagne

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Par Gabriel Leblanc et Marie-Josée Renaud
Texte élaboré collectivement par le CA de l’Union paysanne

Dernièrement, un article intitulé « Le sommet de Lamontagne » rédigé par Sylvain Charlebois, exprimait des louanges affétées à l’égard du MAPAQ et du ministre responsable, M. André Lamontagne. En utilisant « certaines mesures de performance », Charlebois présente l’agriculture québécoise comme « se démarquant clairement » par rapport aux autres provinces canadiennes. Il aborde aussi le Sommet « qui rassemble les grands dirigeants du secteur afin de faire le point sur l’état de l’industrie » ayant eu lieu plus tôt en mai. 

L’Union paysanne veut protester contre cette posture partisane tout à fait cohérente à la vision de l’UPA, fière tenante d’une agriculture industrielle axée sur les exportations. S’il est vrai que « certains » chiffres peuvent être utilisés pour appuyer le caractère populiste de la CAQ, il nous apparaît nettement imprudent de soutenir sans nuance l’agriculture industrielle, c’est-à-dire cette manière de produire fortement associée aux changements climatiques et aux injustices sociales, à laquelle l’élite dirigeante colle ses aspirations de profit.

Faire parler des chiffres

Pour l’Union paysanne, il semble désinvolte de n’utiliser que « certaines mesures de performance » pour brosser un portrait se voulant fidèle de la réalité agricole du Québec. Si sa population agricole a effectivement augmenté de 0,6 % ces dernières années, le nombre de fermiers et fermières de 35 ans ou moins a quant à lui diminué de 11,8 % dans les cinq dernières années. Ceux âgés de 35 à 54 ans sont 11 % moins nombreux. La moyenne d’âge des fermiers et fermières s’élève dorénavant à 54 ans. Les perspectives pour la relève demeurent inquiétantes, alors qu’il s’agit pourtant d’un enjeu prioritaire!

De plus, malgré la légère hausse du nombre de fermes au Québec, le total d’hectares occupés par les fermes québécoises a chuté de 4,11 % depuis 2016. Au Canada, pendant ce temps, ce même nombre s’est rétracté de 3,17 %. Une « mesure de performance » qui semble indiquer au Ministre Lamontagne qu’il a encore des efforts à fournir pour atteindre le même « brio » que ses homologues canadiens.

L’agriculture d’exportation n’est pas consensuelle

Problèmes globaux d’approvisionnement, difficultés à recruter la main d’œuvre, inflation se répercutant sur les intrants à la production : les paysans et paysannes du Québec sont nombreux à voir les failles du système de production agro-industrielle globalisé. Un problème de taille que le ministre ne souhaite toutefois pas aborder.

« L’exportation [et le marché local], ce sont des systèmes qui se nourrissent. Une entreprise qui est résiliente, une entreprise qui est compétitive va être capable d’exporter. Si elle exporte, elle a davantage de revenus. Elle est capable d’amortir encore davantage ses dépenses, ses frais fixes et tout ça et devient encore plus compétitive : elle devient encore plus compétitive sur le marché local. Alors c’est comme un cercle vertueux si on veut. »

André Lamontagne, Ministre du MAPAQ, lors de l’annonce de la Stratégie sur la croissance des serres du Québec (27 novembre 2020)

L’augmentation des exportations est l’un des objectifs énoncés de la Politique Bioalimentaire du Québec. Le discours sur l’autonomie alimentaire que nous propose la CAQ est teinté de cette logique, au point où il faille se demander de quelle « autonomie » il est question. Rappelons que les secteurs d’exportation, comme ceux du porc et des céréales, sont encore supportés à coup de milliards et que les derniers programmes de financement proposés par le MAPAQ n’empêchent pas la vente à l’international, malgré sa rhétorique les inscrivant dans le courant de « l’autonomie alimentaire ». 

L’accaparement des terres par les gros continue aussi d’être un enjeu pour lequel peu de solutions sont proposées. En conséquence, les phénomènes de concentration et de spécialisation poursuivent leur accélération, laissant un terrain toujours réduit pour les fermes aux productions écologiques et à visée multiple. Ajoutons que la détresse psychologique touche 51 % des agriculteurs et qu’ils nomment la pression marchande comme cause de la détérioration de leur santé mentale. Un enjeu semblant aussi relégué aux oubliettes.

Finalement, nous souhaitons mentionner qu’il est commode de se targuer d’obtenir le consensus lorsque l’opposition est contrainte au silence. Quelle place ont eu les fermiers et fermières de familles, ceux et celles qui nourrissent nos collectivités, dans ce Sommet? Rappelons que le Québec est le seul endroit au monde où on interdit aux agriculteurs et agricultrices ne partageant pas la vision industrielle de se syndiquer afin de parler d’une même voix. D’ailleurs, le ministre Lamontagne a coupé le modique financement que l’Union paysanne recevait annuellement du MAPAQ et ce, dès son entrée en poste. Se prévaloir du consensus dans un monde où la pensée unique est la seule légalement acceptée nous semble être une posture contestable. Elle révèle aussi que la situation agricole du Québec est loin d’être aussi rayonnante que Charlebois n’en laisse paraître.