Systèmes alimentaires: un sommet détourné par l’agro-industrie?

Saviez-vous que l’Union paysanne est la seule organisation québécoise membre de la Via Campesina, un mouvement mondial regroupant plus de 200 millions de paysan.nes au sein de 182 organisations locales dans 81 pays ? À ce titre, nous participons parfois à des consultations internationales, notamment au sein de l’ONU.

Et justement, c’est cette année, en 2021, que se tient le Sommet de l’ONU sur les systèmes alimentaires. Par le passé, les sommets du genre étaient convoqués par les différents gouvernements membres de l’ONU, mais cette fois-ci le sommet a été convoqué à la suite d’une demande du Forum économique mondial.

Sur papier, le Sommet sur les systèmes alimentaires se présente comme une série d’événements où des participant.es de partout à travers le monde échangeront leurs idées et leurs vécus afin que  le monde entier découvre ensemble de nouveaux systèmes alimentaires. On le présente comme le sommet le plus ouvert qui n’ait jamais eu lieu, comme un événement progressiste et populaire. Le but de l’exercice? «[R]ésoudre non seulement le problème de la faim, mais aussi […] réduire les maladies liées à l’alimentation et […] guérir la planète».

C’est un projet bien ambitieux, mais qui convient sûrement aux paysan.ne.s. Après tout, depuis des années la Via Campesinaaffirme que sa vision de l’agriculture, c’est-à-dire l’atteinte de souverainetés alimentaires au moyen de pratiques agroécologiques, pourrait régler ces problèmes. Donc, en théorie, on pourrait s’attendre à retrouver des paysan.nes de tous les coins du globe à cette belle table de discussion démocratique et écologique, bien content.es qu’on les écoute enfin.

Ce serait par contre surestimer la bonne foi de l’ONU et des instigateurs du Sommet. Le hic, c’est qu’on a donné une place de choix à des multinationales qui ont une vision de l’agriculture diamétralement opposée à celle de la paysannerie. Et ce ne sont pas n’importe quelles multinationales. La FAO, agence de l’ONU organisatrice du Sommet, a par exemple signé une entente de collaboration avec Croplife, une fédération de corporations digne  des vilains de bande dessinée.

Parmi les membres on trouve Bayer, par exemple, une multinationale qui a fabriqué des gaz asphyxiants durant la Première guerre mondiale et qui a testé ses produits sur les prisonnier.ères d’Auschwitz durant la Deuxième. Bayer s’est dernièrement fait connaître grâce à son rachat de Monsanto, compagnie spécialiste des OGM qui fabriquait l’Agent orange durant la Guerre du Vietnam.  Croplife, c’est aussi des fabricants de pesticides dont les produits riches en atrazine, une substance cancérigène qui affaiblit le système immunitaire. L’atrazine est présente dans toutes les rivières du Québec qui se retrouvent à proximité des cultures de maïs et de soya, selon les analyses menées par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC)[1].

Les organisations membres de Croplife sont toutes partisanes d’une agriculture industrielle imbriquée au système capitaliste mondial qui met la sécurité alimentaire des communautés en péril et où des quantités astronomiques de pesticides, herbicides, fongicides et autres produits louches polluent les cours d’eau et les sols. Le projet à long terme de ces multinationales est, sans surprise, de faire du profit et non de nourrir la planète.

Vite comme ça, on pourrait penser que les groupes écologistes et paysans exagèrent, qu’on peut tout à fait inviter des acteurs économiques importants sans pour autant être biaisé en faveur des entreprises multimilliardaires. Les organisateur.trices du Sommet semblent cependant déterminé.es à prouver le contraire. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a ainsi nommé Agnes Kalibata en tant qu’envoyée spéciale responsable du Sommet. Étant donné le flou habituel de la paperasse onusienne, on ne sait pas exactement ce que fera celle-ci dans le Sommet, mais elle devra apporter « son leadership, ses conseils et sa vision stratégique ».

Sa vision stratégique, c’est celle de l’organisation pour laquelle elle est à l’emploi : l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). Sous ce beau nom se cache une initiative privée de la Fondation Bill et Melinda Gates qui a pour but de rendre l’agriculture africaine dépendante des semences OGM « à haut rendement » (lire « qui produisent des plants stériles ») et des pesticides. L’AGRA n’a jamais produit de rapport pouvant indiquer si les centaines de millions de dollars dépensés depuis 2006 en Afrique ont augmenté la sécurité alimentaire de ce continent, mais l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique affirme que «Pour l’ensemble des pays de l’AGRA, il y a eu une augmentation de 30 % du nombre de personnes souffrant de faim extrême depuis le début de l’AGRA ».

Au final, plutôt que de se demander pourquoi les paysan.nes ne sont guère enjoué.es à l’idée du Sommet sur les systèmes alimentaires, on se demande plutôt pourquoi la paysannerie se sentirait la bienvenue à cet événement ? Pourquoi, en effet, voudrait-on donner un vernis de représentativité à une rencontre convoquée par un forum économique, organisé par une agence de l’ONU partenaire des pires compagnies agrochimiques et avec, comme tête d’affiche, une représentante d’une initiative douteuse qui, selon toute vraisemblance. a empiré la situation là où elle est active?


[1] https://lactualite.com/sante-et-science/faut-il-avoir-peur-de-latrazine/